Dans la bibliothèque, le détonateur voltige : d’un coup de coude Caravaggio l’a envoyé promener du comptoir, en se retournant au cri de joie poussé par Hana dans le couloir. Avant qu’il n’atteigne le plancher, le corps de Kip se glisse par-dessous, il le rattrape.
Caravaggio voit le visage du jeune homme souffler l’air qui gonfle ses joues.
Il se dit tout à coup qu’il lui doit la vie.
Les fils du détonateur entre les mains, Kip se met à rire, oubliant sa timidité à l’égard de son aîné.
Caravaggio s’en souviendra. Même s’il devait s’en aller et ne jamais le revoir, il ne l’oubliera jamais. Des années plus tard, dans une rue de Toronto, Caravaggio sortira d’un taxi, il tiendra la portière ouverte à un Indien qui s’apprêtera à y monter et il pensera à Kip.
Le sapeur éclate de rire en regardant le visage de Caravaggio, son rire monte jusqu’au plafond.
« Les sarongs, ça me connaît. » Caravaggio a accompagné ces mots d’un signe de la main à l’intention de Kip et de Hana. « Dans les quartiers est de Toronto, j’ai fait la connaissance des Indiens. J’étais en train de cambrioler une maison et il s’avéra qu’elle appartenait à une famille indienne. Je les ai surpris au lit, dans ces vêtements, des sarongs, qu’ils portaient pour dormir. Cela m’a intrigué. Nous avons eu une longue discussion, et ils ont fini par me persuader d’essayer un sarong. Je me suis déshabillé. Au moment où j’allais en passer un, ils se sont précipités sur moi et m’ont poursuivi, à moitié nu, dans la nuit.
— C’est une histoire vraie ? demanda-t-elle avec un sourire jusqu’aux oreilles.
— Une parmi bien d’autres ! »
Elle en savait assez à son sujet pour le croire. Ou presque. Au cours de ses cambriolages, Caravaggio se laissait sans cesse distraire par l’élément humain. S’introduisant dans une maison au moment de Noël, il ne pouvait supporter que le calendrier de l’Avent ne soit pas à la bonne date. Il se lançait souvent dans de grandes conversations avec les différents animaux abandonnés dans les maisons, discutant des repas, leur octroyant de larges portions, aussi ces derniers l’accueillaient-ils avec un incommensurable plaisir lorsqu’il retournait sur les lieux de l’un de ses méfaits.
Elle passe devant les étagères de la bibliothèque, les yeux fermés. Elle prend un ouvrage, au hasard. Repérant un espace vierge entre deux parties d’un livre de poésie, elle se met à écrire.
Il dit que Lahore est une ville ancienne. Comparée à Lahore, Londres est récente. Je dis : Eh bien, moi, je viens d’un pays encore plus récent. Il dit qu’ils ont toujours connu la poudre à canon. Au XVIIe siècle déjà, des tableaux de la cour représentaient des feux d’artifice.
Il est petit, pas beaucoup plus grand que moi. Un sourire intime, tout proche, susceptible de charmer n’importe quoi quand il l’arbore. Un côté opiniâtre qu’il ne montre pas. L’Anglais dit que c’est un de ces saints guerriers, mais il a un sens de l’humour bien à lui, plus gamin que ne le laisserait présager sa façon d’être. Rappelle-toi « Je le rebrancherai demain matin ». Oh ! la la !
Il dit que Lahore a treize portes, elles portent le nom de saints, d’empereurs ou de l’endroit où elles vous mènent. Le mot bungalow vient de Bengale.